Ne plus subir les mathématiques, les faire vivre selon les principes de la recherche : tel est l’objectif du projet MATh.en.JEANS, acronyme de « Méthode d’Apprentissage des Théories mathématiques en Jumelant des Établissements pour une Approche Nouvelle du Savoir » (MeJ). Un atelier MeJ regroupant une dizaine d’élèves volontaires a été mis en place au lycée Jean Giono.
De Gênes à Turin, petite histoire du jean
Au XVIe siècle, la république indépendante de Gênes est à son apogée. Ses tissus sont réputés : parmi eux, une toile de laine et de lin sert à fabriquer des voiles pour les navires, des bâches, mais aussi des pantalons solides pour les marins. Importée dans le Nouveau Monde, cette toile de Gênes s’anglicise et, par phonétique, devient le « jeans ». Au milieu du XIXe siècle, ce sont des tentes faites de ce tissu qu’un certain Lévi Strauss, immigré allemand de 24 ans, tentera de vendre aux chercheurs d’or des mines de Californie…
Quelques cinquantaines d’années plus tard, c’est armés d’une paire de jeans que nos dix chercheurs des temps modernes franchissent la porte de la salle 23 du Lycée français Jean Giono de Turin. Derrière eux s’engouffrent Nicolas Sans, professeur de mathématiques et Julyan Arbel, chercheur français au Collegio Carlo Alberto de Moncalieri. La porte se referme. Mais que cherchent-ils ?
Des chercheurs de réponses au lycée Jean Giono
A défaut de pépites, ils cherchent des réponses. Bianca, Kyara et Cédric par exemple, jouent au jeu du Mancala. Là où le commun des mortels ne verrait qu’un jeu traditionnel africain dans lequel on déplace et compte des graines, eux y voient un jeu de stratégie combinatoire abstraite et développent des stratégies gagnantes. Julie et Giacomo eux, comptent les sangliers. Non parce qu’ils se sentent particulièrement attirés par ce mammifère omnivore qui peuple (surpeuple ?) les sous-bois de la colline turinoise, mais parce que, en appuyant leur raisonnement sur les techniques de dénombrement actuelles, ils souhaitent évaluer la taille de cette population. Forts de cet indicateur, ils seraient en mesure de donner aux chasseurs des consignes précises avant l’ouverture de la période de chasse. François, Arthur et Alberto, les sportifs, courent sur les traces de Kilian Jornet. Parfaitement conscients qu’ils ne le rattraperont jamais, ils essayent tout de même d’optimiser sous contraintes l’ascension du pierrier de Névache. Au pied de la pente, les yeux rivés vers le sommet, ils essayent de mettre en équation « la » question que tout promeneur s’est un jour posée : arriverai-je plus vite en affrontant en ligne droite la raideur de la pente ou en zigzaguant le long du sentier ? Kilian, entre-temps, est déjà arrivé au sommet… Eloïse et Daphné, enfin, font rouler de drôles de vélos sur de drôles de routes. Ciseaux, règle et crayon à la main, elles découpent dans du carton des roues « triangulaires » qu’elles font rouler sur des routes « en dents de scies ». Le résultat n’étant pas probant avec des triangles équilatéraux, elles nous expliquent, enthousiastes, qu’elles recommencent l’expérience avec des triangles isocèles et que si ça ne marche toujours pas, elles essaieront avec des triangles rectangles, leur seule préoccupation étant le bien-être du cycliste dans cet univers hostile. Bref, faire en sorte qu’il soit secoué le moins possible. Plus facile à dire qu’à faire apparemment…
Une aventure baptisée MATh.en.JEANS
Dans cette aventure, baptisée MATh.en.JEANS, Nicolas et Julyan accompagneront toute l’année nos apprentis chercheurs. Ils remettront en selle ceux qui tomberont de leur vélo. Ils prendront par la main ceux qui s’essouffleront sur la pente du pierrier. Ils protègeront d’une charge vengeresse ceux qui côtoieraient de trop près les sangliers de la colline. Ils mettront en garde d’une indigestion ceux qui mangeraient trop de graines prises à leur adversaire. Pendant ce temps-là, de l’autre côté des Alpes, au Lycée d’Altitude de Briançon (et c’est là l’originalité et la force du projet turinois), d’autres élèves se poseront les mêmes questions et s’exposeront courageusement aux mêmes risques. Dans l’année des échanges sont prévus pour comparer l’avancée de leurs travaux, mettre en commun des résultats, confronter des idées et surtout, préparer un événement dont nous reparlerons très vite : communiquer et exposer le fruit de cette recherche transfrontalière franco-italienne sur la lune ! Affaire à suivre… Ils participeront également pendant trois jours à un congrès MATh.en.JEANS, sur terre cette fois-ci, dans une ville non encore déterminée qui pourrait être Avignon, Vienne ou Casablanca.
Signalons pour terminer que la lettre de soutien de l’inspection générale à l’association MeJ (datée du 4 septembre dernier) synthétise parfaitement les vertus que l’on retrouve dans cette approche particulière et originale de l’activité mathématique. Souhaitons à nos dix élèves turinois d’avoir le courage et la ténacité d’aller jusqu’au bout de leurs recherches. Espérons également que, chemin faisant, ils fassent parmi leurs camarades de classe, leurs amis proches et pourquoi pas leur famille des émules, les incitant à laisser dans la buanderie shorts, salopettes, pantalons à pinces ou à revers et passer, le vendredi après-midi, la porte de la salle 23 pour faire tous ensemble, des maths, en jeans…