Et si les choses étaient complexes ?

En cette période de confinement, j’aime faire la vaisselle. Je la fais trois fois par jour et me dis que ça ne peut pas être du temps perdu puisque, trois fois par jour, j’ai les mains propres. Les enfants ont généralement fini leur repas et jouent tranquillement dans leur chambre. En bruit de fond, la télévision continue de parler en long, en large et en travers du coronavirus. Hier soir, absorbé par cette noble activité, je fus distrait par les vibrations de mon téléphone. Je sortais de l’eau, deux mains savonneuses, les séchais rapidement et découvrais cette image (voir ci-dessus) dans ma messagerie Wapp. Je reconnaissais très vite un système linéaire de trois équations à trois inconnues, appliquais les techniques de substitution enseignées à mes élèves et arrivais très vite à une conclusion que je tapais fièrement sur le clavier. Avant même de replonger les mains dans l’eau, l’écran de mon téléphone se rallumait et un pouce jaune tourné vers le bas me ramenait à la réalité. M’étais-je donc trompé ? Un complément d’information arrivait sous la forme : « As-tu bien tout regardé ? ». Euh… Et bien non, happé par la simplicité apparente, obsédé par l’obtention d’un résultat, omnibulé par la soit disant glorieuse rapidité d’accès à ce dernier, j’avais oublié l’essentiel : savoir, en toutes circonstances, appréhender un problème, aussi élémentaire qu’il soit, dans toute sa complexité

Pour les mesures de confinement, qui depuis le 9 mars, ont bouleversé nos vies italiennes, et qui dans les jours et semaines qui ont suivi, ont contraint 2,63 milliards de personnes sur terre à rester chez eux, c’est exactement pareil. Si nous voulons comprendre et accepter le bien-fondé de ces mesures, il nous faut, collectivement, appréhender le problème dans toute sa complexité. En mathématiques, la complexité se dompte avec des modèles. Le modèle SIR (sains/infectés/rétablis) est celui communément utilisé pour étudier la propagation d’un agent infectieux au sein d’une population. Ici, nous prendrons une population de 70 millions d’habitants, parfaitement adaptée à la réalité d’un pays comme la France ou l’Italie. Et nous mettrons en avant trois paramètres. Le premier est le nombre de contacts quotidiens moyen par habitant (je sors de chez moi et rencontre en moyenne : une, deux, dix, cent personnes par jour). Le deuxième est la probabilité de transmission du virus lors d’une de ces rencontres (que nous fixerons à 1% ou 2%). Le troisième est la durée de la maladie chez un patient qui, dans le cas du coronavirus, est fixée à (environ) 10 jours : nous ne le toucherons pas. Le produit de ces trois paramètres donne un indicateur appelé « R zéro » très fortement corrélé à l’évolution de trois courbes : celle des malades (en bleu), celle des personnes atteintes puis guéries (en vert), celle des personnes atteintes et malheureusement décédées (en rouge). Dans ce modèle, les marges de manœuvre sont faibles. Pour faire évoluer le « R zéro » (et donc les trois courbes associées), nous avons deux leviers : la distanciation sociale (par le confinement) qui abaisse le nombre de contacts quotidiens moyen par habitant et le recours aux gestes barrières (port du masque ou respect d’une distance interpersonnelle) qui abaisse la probabilité de transmission du virus lors d’une rencontre entre deux personnes. Et dans ce modèle, les effets de seuil sont réellement impressionnants ! Car le modèle n’est absolument pas linéaire. Pour les visualiser et se convaincre que rester chez soi et adopter quelques gestes barrières est loin d’être une mauvaise chose en ces temps où les virus courent, je n’ai rien trouvé de mieux que confectionner une affichette que je vous propose de manipuler en regardant ci-dessous (soyez patient le temps qu’elle se charge) ou (si vous souhaitez qu’elle s’affiche plus vite et en plus grand) en cliquant sur le lien suivant : https://www.geogebra.org/m/thbzcexx.

Le mot de la fin sera laissé à Umberto Eco qui dans son livre « Il nome della rosa » écrivait : « Allora c’è un ordine del mondo ! gridai trionfante. Allora c’è un po’ d’ordine in questa mia povera testa rispose Gugliemo. ». De mon côté je retourne à mon évier : la vaisselle n’attend pas ! Et vous, avez-vous une réponse à apporter à l’énigme initialement proposée ?